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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 21:49

 

Léodine l'Africaine d'Albert Russo

 

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Léodine est une jeune adolescente, fille de colons, née au Congo Belge dans les années 50. Elle est le narrateur de sa propre histoire, d'une période apparaissant comme assez courte (quelques mois).

 

Ainsi s'ouvre le récit : « Je suis née dans une ville, autrefois pleine de charme, que les Belges ont baptisée Elisabethville et qui maintenant s'appelle Lubumbashi. On la nomme aussi la perle de Katanga, cette province au sous-sol d'une richesse fabuleuse, que l'Union Minière avait su royalement exploiter. Après son indépendance, le pays de ma jeunesse a traversé près d'un demi-siècle d'affres et de malheurs en tous genres, aussi bien à cause de la vénalité de ses dirigeants que de la collision éhontée des grandes puissances et de la non moins délétères convoitises des pays communistes. »(p.7), exposant immédiatement le cadre et les tiraillements hypothétiques de notre narrateur entre colons et « autochtones »

 

Orpheline de père, elle nous conte comment elle grandit entourée de sa mère et ses grands-parents maternels, une mère dépressive, alcoolique épisodiquement, cherchant de l'affection auprès de trop nombreux hommes...

Jusqu'à ce qu'elle rencontre Piet, un homme jovial, apaisant, structurant, qui apportera à la mère et à la fille une grande stabilité : « Je dois avouer que depuis qu'il partageait notre vie, un certain équilibre s'était installé à la maison, notamment chez ma mère, elle qui, avant cette rencontre, rentrait souvent à des heures indues, parfois avec des inconnues, éméchée, au point de ne plus même me reconnaître ». (p26)

 

Ainsi, la vie semble avoir retrouvée son calme, jusqu'à ce que Léodine apprenne une nouvelle lourde de conséquences : son père, décédé en accident d'avion alors qu'elle n'était qu'un bébé, avait une ancêtre noire, son arrière-grand-mère, esclave en Louisiane. Mais alors commence se fait-il qu'elle ne le sache pas déjà ? Léodine n'a pas un métissage marqué, elle semble blanche, parce que « le gène saute des générations » et a « épargné » la jeune fille.

 

Dès cet instant, le roman prend une toute autre dimension et une autre tournure : Léodine, adolescente, en quête d'elle-même comme tout adolescent, perd tous ses repères et tente de comprendre qui elle est, et surtout d'accepter la présence de sang mêlé dans ses veines. « J'avais tout à coup l'impression que l'on venait de m'arracher quelque chose dans la région du ventre, ou était-ce plus haut ? Cette erreur d'appréciation ajouta à mon désarroi. Il me semblait aussi que je me vidais lentement de mon sang et, qu'à la place, on m'injectait un poison. Ce qui me déconcerta plus que tout c'est que, dans le même corps, je me sentais subitement autre, comme si celui-ci avait cessé de m'appartenir. »(p.29) A ses dépends, Léodine comprend tout l'enjeu de ce revirement de situation dans sa vie : traitée comme une blanche dans un pays où les noirs sont appelés « indigènes », être métisse signifie donc passer de l'autre côté de la société, être considéré comme impure, sale, ignorant. Que deviendrait-elle si cette vérité s'ébruitait ? Comment ses camarades de classe la considérerait-elle ? Quel avenir se dessinerait à elle ?

Malgré toutes ses angoisses et ses questionnements, Léodine décide de se confier. Plus qu'une confession, c'est un acte vital, le besoin d'échanger pour comprendre qui elle est. « C'est donc sur Yolande que je jetai mon dévolu et je le lui annonçait un après-midi, alors que nous sortions de l'enceinte de l'école, comme si les palmiers de la cour de récréation pouvait avoir des oreilles. Elle m'écouta, sans broncher, avec ce que je perçus comme l'ombre d'un sourire, puis elle me prit dans ses bras et me chuchota : Si tu veux, tu deviendras ma petite soeur. Ca te plairait ? »(p44) Yolande, une camarade de classe, gagne son amitié. Yolande, elle aussi métisse vient de l'Angola. Elle souffre souvent de moqueries malgré le statut avantageux de son père. Les deux jeunes filles, vont, de réticence en attirance, d'incompréhension en partage, devenir amies.

 

Enfin, Yolande introduit le dernier personnage important : Mario-Tendé, son cousin. Ponctuellement dans l'oeuvre, Léodine va constater par elle-même, au fil de rencontres souvent dues au hasard, qu'il y a aussi, au sein du peuple noir qu'elle ne côtoie pas, de grandes personnalités, de belles âmes. Et Mario-Tendé en sera la plus belle incarnation. La beauté du corps alliée à l'intelligence de l'esprit, le jeune homme se montre très vite comme opposant au colonialisme, prêt à travailler pour son pays, son indépendance, sa fierté d'homme et son orgueil. Mario-Tendé n'est pas comme les autres jeunes hommes que Léodine a pu rencontrer : il est vaillant, perspicace, persuasif et cultivé. C'est au-travers la parole de ce personnage que l'histoire du Congo nous est transmise, comme un conte qui cherche sa fin merveilleuse.

 

Et puis, il faut traiter du voyage de Léodine avec ses parents, à-travers le Congo et le Rwanda, avant les drames qui décimèrent la région. Le rôle de l'écrivain prend ici toute sa dimension puisqu'il s'attache à raconter le pays de sa propre enfance. Plus que raconter, il dresse un majestueux tableau, il peint. On ne lit pas, on observe cette peinture à l'huile, plus encore, on voyage en réalité ! Et on ne peut que s'émerveiller de ces terres équatoriales, encore vierges parfois, empreintes d'une douceur de vivre enviable, que l'on imagine sans peine. L'auteur reste omniprésent, et il serait intéressant de chercher la part autobiographique de ce roman.

 

Au fil des voyages et des rencontres, que pensera Léodine de sa propre destinée ? Arrivera-t-elle à se considérer réellement comme appartenant aussi à l'histoire du peuple noir, à être le témoin vivant du chemin parcouru par le peuple africain ? A vous de le découvrir...

 

Léodine l'Africaine, Albert Russo, éditions gingko-éditeur, 2011, 205 pages.

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