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4 mars 2012 7 04 /03 /mars /2012 15:48

 

La Couleur des sentiments de Kathryn Stockett

 

La Couleur des sentiments est le premier roman de Kathryn Stokett. Il nous emmène dans les Etats-Unis des années 60, dans l'état du Mississipi où la population Noire est très dense. On y rencontre les bonnes noires au service des riches Blanches...images-2-.jpg

 

Le texte est d'une grande efficacité puisqu'il est organisé autour de trois narrateurs internes qui successivement racontent leur vie, les évènements ponctuant leur journée, et ainsi mettent en place l'intrigue. La parole est donnée à deux femmes noires toutes deux au service de Blanches, la troisième voix étant celle d'une Blanche. D'une façon inattendue, le destin des trois femmes va se croiser pour une longue route, pleine d'espoir, de doutes, de peur, dans l'élaboration d'un projet ambitieux.

 

Le plaisir de cette lecture réside tout d'abord dans l'impression de vérité du texte rendue possible par la focalisation interne. Le roman se figure soudainement comme le témoignage d'une époque révolue : Noirs et Blancs n'appartiennent pas au même monde. L'ensemble du texte va tourner plus ou moins autour de la question des toilettes ; les Blancs se doivent de construire des toilettes séparées pour leur bonne, non pas parce que ce sont des bonnes, mais parce qu'elles sont Noires. Oui, en 1960, on pensait que les Noirs véhiculaient des maladies et les transmettaient aux Blancs par l'urine.

 

La Ségrégation est au coeur du roman, les toilettes n'étant que l'arbre qui cache la forêt. Les hôpitaux, les écoles, les bibliothèques, les écoles, les places dans le bus... Toute chose de la vie quotidienne est sujet à séparer les Noirs des Blancs. Tout cela nous semble si loin... Pourtant, c'était il y a 50 ans.

 

Et puis, comment ne pas s'attendrir sur Aibileen et Minny ? Comment ne pas s'attacher à ces deux personnages qui forgent le livre ?

Aibileen, bonne chez Miss Leefolt, qui passe une grande partie de son temps à s'occuper de la petite Mae Mobley dont la mère n'a que faire... A lui donné confiance, à lui dire qu'elle est intelligente et gentille... A lui faire comprendre que les Noirs sont des gens bien aussi... Aibileen éduque cette enfant comme la sienne... : "Ca sera pas une reine de beauté. Je crois que ça embête Miss Leefolt, mais Mae Mobley, c'est mon bébé."

Et Minny... Minny, renvoyée dix-neuf fois parce qu'elle a la parole trop vive, parce qu'elle n'est pas du genre à se laisser faire. Pourtant, sa mère l'avait prévenue : « Si tu parles mal à une Blanches le matin, tu iras mal parler dehors l'après-midi ». Cela n'a rien changé à son caractère : ainsi est Minny. Et on l'aime Minny, parce qu'elle est courageuse, parce qu'elle a conscience d'elle-même, parce qu'elle se fait passer pour une dure – un coeur en or.

Face à elle deux, cette Blanche, qu'on croirait tombée comme un cheveux sur le soupe. Miss Skeeter. Elle sort de l'université, vit encore chez ses parents et aucun homme ne veut d'elle. Elle va pourtant faire la différence et proposer une alliance à Aibileen suivie de Minny. Une amitié naît, lentement, une confiance mutuelle, pour rendre aux Noirs la parole qu'on leur a volée.

 

Ce livre est bouleversant, les émotions du lecteurs multiples : indignation, rires, surprise, incompréhension, larmes... On en voit de toutes les COULEURS. 

  

Heureusement, dans ce dramatique décor qui ne fait que dépeindre la réalité, des bribes d'espoir existent... Au-delà du personnage de Miss Skeeter, certaines femmes blanches gardent des traces d'humanité : lorsque le fils de Louvenia est battu, sa patronne lui offre des congés payés, Minny sera sauvée par sa patronne d'un fou furieux dans le jardin, le père de Miss Skeeter énoncera son soutien à ses employés noirs : "J'ai vingt-cinq nègres qui travaillent dans mes champs et si quelqu'un posait seulement la main sur eux, ou sur leur femme ou sur leurs gosses...[...] J'ai honte, parfois, sénateur. Honte de ce qui se passe dans le Mississipi." Plusieurs exemples qui illustrent tout de même de belles âmes chez les Blancs. Il aura fallu du temps pour que les choses changent, car peu d'entre eux avaient le courage de révéler cette solidarité consistant à dire : les Noirs sont des êtres humains, comme nous !

 

Si l'on doutait de cette vérité, comment ne pas succomber face aux malheurs et aux détresses de ce peuple ? Comment croire que celles qui exprimaient tant d'amour pour les enfants des Blancs puissent ne pas être humaines ? Si on est bouleversé par tant de violence – tant physique que verbale - et d'injustices, c'est bien la preuve que notre regard a changé. Néanmoins, on ne peut pas dire que tout est gagné, on sait que les personnes de couleur souffrent encore de discriminations diverses. La Ségrégation a été vaincue mais il convient de ne rien relâcher : l'homme blanc reste une race à part, fière, qui ne doit pas oublier ses erreurs passées.

 

La Couleur des sentiments de Kathryn Stockett, Editions Jacqueline Chambon, 2010, 526 pages.

 

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commentaires

L
Très alléchant, ton billet ! Ce roman semble unanimement apprécié, et tu mets bien en lumière ses enjeux. J'ai bien aimé le "on en voit de toutes les COULEURS" ! Je crois que, si cette question de<br /> couleur, de race, peu importe comment on la désigne, fait encore tant couler de salive, c'est qu'elle n'est pas encore dépassée, même si un grand pas a été fait en avant. Sur le même sujet et<br /> toujours aux Etats-Unis, je te conseille une version Essai : "La Prochaine fois le feu", de James Baldwin, à moins que tu ne l'aies déjà lu. Voici le lien vers la critique que j'en avais faite<br /> :<br /> http://lissdanslavalleedeslivres.blogspot.fr/2010/06/la-prochaine-fois-le-feu-de-james.html ou clique sur le nom d'auteur "Baldwin" sur mon blog.
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L
Tout comme il serait fourbe de s'exonérer des génocides passés, il ne faudrait pas non plus porter la croix de génocides qui ne sont pas nôtres (si on peut "appartenir" à la "race blanche" tant<br /> cette expression est disparate et hétérogène - pour ne pas dire qu'elle est quasiment vide de sens)... Je pense que nous avons souvent une vision ethnocentriste du problème : les génocides<br /> arméniens (par les turcs) et tutsis (par les hutus) sont là pour rappeler que les "blancs" n'ont pas le monopole de la barbarie ! Et je persiste à penser que parler de "race" autrement que pour<br /> parler des animaux (le Milord et le Luigi !!!) ou de la "race humaine" (sous-entendu le "genre humain") est soumis à controverse... Ne peut-on pas parler, par exemple, d'un génocide européen sur<br /> les amérindiens ("natifs américains") plutôt que d'un génocide perprétré par la "race blanche" ? A mon sens, l'expression "race blanche" est bien trop englobante pour être significative de quoi que<br /> ce soit.
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P
<br /> <br /> Je suis d'accord avec toi, c'est bien pour cela que j'ai précisé que l'utilisation de ce terme était totalement péjorative ! Bien sûr que c'est controversé, périmé, dépassé, et tout ce que<br /> tu veux !  Je suis d'accord avec toi lorsque tu dis que cette expression est trop englobante. L'utilisation de ce mot a été choisie en ce sens : parce que c'est controversé mais qu'il<br /> exprime ma vision de certaines choses. Utilisés dans certains contextes, les mots changent la donne et c'est là leur force. J'assume ce que j'ai dit et continue de le penser. L'homme blanc - même<br /> s'il n'y a pas que lui - a commis trop de barbaries dans l'Histoire du monde. Et pour moi, tout le problème réside dans ce que tu dis : c'est en minimisant ce que l'on a fait, sous prétexte qu'on<br /> n'est pas les seuls (Tiens, ça me fait penser à une discussion, hier, sur FB...!), qu'on finit par reproduire les erreurs du passé. Le XXème siècle nous l'a à nouveau prouvé (génocide Juifs,<br /> Ségrégation ne sont que les exemples les plus flagrants) : le génocide amérindien n'a pas suffi ! J'ai bien conscience que ma position est loin d'être éthiquement correct, et qu'elle suscite le<br /> débat, mais c'est ainsi que je vois les choses.<br /> <br /> <br /> <br />
L
Très beau texte, qui donne envie de lire ce roman malgré les "bons sentiments" qui ont émané du film (a priori, car je ne l'ai pas vu). Néanmoins, tu parles de "race blanche" ; ne crois-tu pas que<br /> le terme de race est périmé scientifiquement et trop connoté idéologiquement pour différencier les hommes entre eux ?
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P
<br /> <br /> Oui, bien sûr que ce terme de "race" est révolu et dépassé ! Je suis tout-à-fait d'accord avec cette objection ! Je l'ai utilisé pour rester dans la tonalité du livre, mais aussi et surtout pour<br /> une raison.<br /> On peut constater que dans l'histoire de notre monde, les génocides ont toujours été engendrés par les Blancs sur des personnes d'autres couleurs. De ce constat, j'ai le jugement sévère qui<br /> consiste à penser que les Blancs se sont considérés et continuent de se considérer comme supérieurs aux peuples colorés. Alors, de façon très péjorative, j'utilise ce terme de "race blanche" pour<br /> parler de celle à laquelle j'appartiens et qui je pense a toujours manqué de respect et de recul. Tant de peuples me semblent tellement plus civilisés que les Blancs !<br /> <br /> <br /> <br />