La Couleur des sentiments de Kathryn Stockett
La Couleur des sentiments est le premier roman de Kathryn Stokett. Il nous emmène dans les Etats-Unis des années 60, dans l'état du Mississipi où la population Noire est très dense. On y rencontre les bonnes noires au service des riches Blanches...
Le texte est d'une grande efficacité puisqu'il est organisé autour de trois narrateurs internes qui successivement racontent leur vie, les évènements ponctuant leur journée, et ainsi mettent en place l'intrigue. La parole est donnée à deux femmes noires toutes deux au service de Blanches, la troisième voix étant celle d'une Blanche. D'une façon inattendue, le destin des trois femmes va se croiser pour une longue route, pleine d'espoir, de doutes, de peur, dans l'élaboration d'un projet ambitieux.
Le plaisir de cette lecture réside tout d'abord dans l'impression de vérité du texte rendue possible par la focalisation interne. Le roman se figure soudainement comme le témoignage d'une époque révolue : Noirs et Blancs n'appartiennent pas au même monde. L'ensemble du texte va tourner plus ou moins autour de la question des toilettes ; les Blancs se doivent de construire des toilettes séparées pour leur bonne, non pas parce que ce sont des bonnes, mais parce qu'elles sont Noires. Oui, en 1960, on pensait que les Noirs véhiculaient des maladies et les transmettaient aux Blancs par l'urine.
La Ségrégation est au coeur du roman, les toilettes n'étant que l'arbre qui cache la forêt. Les hôpitaux, les écoles, les bibliothèques, les écoles, les places dans le bus... Toute chose de la vie quotidienne est sujet à séparer les Noirs des Blancs. Tout cela nous semble si loin... Pourtant, c'était il y a 50 ans.
Et puis, comment ne pas s'attendrir sur Aibileen et Minny ? Comment ne pas s'attacher à ces deux personnages qui forgent le livre ?
Aibileen, bonne chez Miss Leefolt, qui passe une grande partie de son temps à s'occuper de la petite Mae Mobley dont la mère n'a que faire... A lui donné confiance, à lui dire qu'elle est intelligente et gentille... A lui faire comprendre que les Noirs sont des gens bien aussi... Aibileen éduque cette enfant comme la sienne... : "Ca sera pas une reine de beauté. Je crois que ça embête Miss Leefolt, mais Mae Mobley, c'est mon bébé."
Et Minny... Minny, renvoyée dix-neuf fois parce qu'elle a la parole trop vive, parce qu'elle n'est pas du genre à se laisser faire. Pourtant, sa mère l'avait prévenue : « Si tu parles mal à une Blanches le matin, tu iras mal parler dehors l'après-midi ». Cela n'a rien changé à son caractère : ainsi est Minny. Et on l'aime Minny, parce qu'elle est courageuse, parce qu'elle a conscience d'elle-même, parce qu'elle se fait passer pour une dure – un coeur en or.
Face à elle deux, cette Blanche, qu'on croirait tombée comme un cheveux sur le soupe. Miss Skeeter. Elle sort de l'université, vit encore chez ses parents et aucun homme ne veut d'elle. Elle va pourtant faire la différence et proposer une alliance à Aibileen suivie de Minny. Une amitié naît, lentement, une confiance mutuelle, pour rendre aux Noirs la parole qu'on leur a volée.
Ce livre est bouleversant, les émotions du lecteurs multiples : indignation, rires, surprise, incompréhension, larmes... On en voit de toutes les COULEURS.
Heureusement, dans ce dramatique décor qui ne fait que dépeindre la réalité, des bribes d'espoir existent... Au-delà du personnage de Miss Skeeter, certaines femmes blanches gardent des traces d'humanité : lorsque le fils de Louvenia est battu, sa patronne lui offre des congés payés, Minny sera sauvée par sa patronne d'un fou furieux dans le jardin, le père de Miss Skeeter énoncera son soutien à ses employés noirs : "J'ai vingt-cinq nègres qui travaillent dans mes champs et si quelqu'un posait seulement la main sur eux, ou sur leur femme ou sur leurs gosses...[...] J'ai honte, parfois, sénateur. Honte de ce qui se passe dans le Mississipi." Plusieurs exemples qui illustrent tout de même de belles âmes chez les Blancs. Il aura fallu du temps pour que les choses changent, car peu d'entre eux avaient le courage de révéler cette solidarité consistant à dire : les Noirs sont des êtres humains, comme nous !
Si l'on doutait de cette vérité, comment ne pas succomber face aux malheurs et aux détresses de ce peuple ? Comment croire que celles qui exprimaient tant d'amour pour les enfants des Blancs puissent ne pas être humaines ? Si on est bouleversé par tant de violence – tant physique que verbale - et d'injustices, c'est bien la preuve que notre regard a changé. Néanmoins, on ne peut pas dire que tout est gagné, on sait que les personnes de couleur souffrent encore de discriminations diverses. La Ségrégation a été vaincue mais il convient de ne rien relâcher : l'homme blanc reste une race à part, fière, qui ne doit pas oublier ses erreurs passées.
La Couleur des sentiments de Kathryn Stockett, Editions Jacqueline Chambon, 2010, 526 pages.